Jean-Pierre Ronfard (1929-2003)

21 septembre 2023 | Actualités

Pour souligner le 20e anniversaire du décès de Jean-Pierre Ronfard, cofondateur d’Espace Libre, nous avons fait appel à la plume d’Evelyne de la Chenelière proche collaboratrice et amie de ce géant du théâtre.

Je me rappelle souvent ces mots de Jean-Pierre Ronfard, je l’entends encore les prononcer, à moins que ma mémoire, recréant les souvenirs comme elle l’entend, les ait déformés, mais oui, il me semble que c’était bien ça : « On aura ri. » Toute simple, cette phrase me semble d’une infinie profondeur. Conjuguée au futur antérieur, elle témoigne de la sagesse de se savoir mortel. On ne peut la prononcer qu’en se projetant dans un temps où nous appartiendrons définitivement au passé, rejoignant tout ce qui est disparu, tout ce qui n’est plus et qui aura été. On aura ri. Ensuite, il y a le « on ». Celui d’une troupe, d’une bande, d’un clan, d’une tribu, d’une famille, peu importe, ce « on » célèbre un rire commun, une communion dans le rire, donc dans la joie.

Enfin, une humilité étonnante se dégage de cette affirmation qui prend l’allure d’une conclusion, d’un bilan : « On aura ri ». C’est un peu court, considérant l’œuvre, le legs et l’importance de cet homme de théâtre. Pourtant. N’est-ce pas la plus grande irrévérence de trouver à rire dans un monde où on devrait pleurer tous les jours? Le rire n’est-il pas la réponse la plus tendre, la plus avisée, à nos maladresses et à nos vanités? Le rire ne permet-il pas d’atténuer tout ce qui, du reste, est déplorable?

Le rire de Jean-Pierre Ronfard était un rire humaniste, plein d’indulgence, mais qui, également, secouait nos complaisances. Son théâtre n’avait rien à voir avec le cynisme de l’offusqué. C’était plutôt l’ironie du poète qui teintait chacun de ses spectacles, dans leur finesse comme dans leur exubérance.

Entre les mains du metteur en scène, la représentation théâtrale était une consolation, peut-être même une réparation, mais par accident, par jeu, par la seule énergie vitale de cette « curieuse fête de la présence et de l’échange »¹ . Celui qui se déclarait « contre le Théâtre pour » n’a jamais voulu faire un art militant, ni vertueux. Pourtant, chaque fois qu’il repoussait les limites du théâtre et de la provocation, Jean-Pierre Ronfard posait un geste politique, se voulant témoin plutôt qu’exemplaire, ne se dérobant jamais derrière un discours. Je me dis souvent que, aujourd’hui, ce grand penseur, ce créateur passionné, serait incapable de rédiger une demande de subvention ou de séduire un conseil d’administration. Ou alors il refuserait de le faire. Dans tous les cas il choisirait de rester libre.

Sa liberté me manque, son désir me manque, son rire me manque. Que nous l’ayons connu ou non, que nous en ayons conscience ou non, Jean-Pierre Ronfard nous manque à tous.

Cher Jean-Pierre, repose en joie!

Evelyne

¹Jean-Pierre Ronfard, Contre le théâtre pour, revue Jeu no 12, 1979